Suisse : des banques bloquent les avoirs de leurs clients non régularisés‏

samedi 15 février 2014
par  François DART

Pour amener leurs clients à régulariser leur situation, les banques suisses ne reculent plus désormais devant des moyens de pression inimaginables il y a peu encore.

Selon de multiples témoignages, certains établissements n’hésitent pas à bloquer l’argent tant que le client n’a pas entrepris des démarches pour se mettre en règle avec le fisc de son pays d’origine.

Refus de transférer les fonds, même vers des places sûres, gel des opérations courantes, y compris parfois les retraits à un guichet automatique, les témoignages colligés montrent que les banques déploient aujourd’hui les grands moyens.

Au risque de s’attirer des poursuites judiciaires de leurs clients.

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« Le sujet est effectivement devenu très sensible au sein de la place financière », confirme un cadre bancaire.

La récente inculpation en France des dirigeants de la banque Reyl pour blanchiment de fraude fiscale a rendu les banques très inquiètes de leur possible mise en cause.

Après le cas, révélé par Le Temps et le Tages-Anzeiger, d’un contribuable américain client de la Banque cantonale de Zurich ayant déposé plainte pénale parce que l’établissement refusait de transférer ses fonds à l’étranger, ce sont désormais des clients européens qui se retrouvent dans une situation semblable.

Ainsi, un client français de la Banque cantonale vaudoise (BCV) s’est-il récemment heurté au refus de sa banque de le laisser librement disposer d’un compte abritant plusieurs millions de francs.

Ses retraits ont été limités à 100 000 francs suisses (81 000 euros environ) par an. La BCV l’a renvoyé vers un avocat fiscaliste français aux fins d’engager une procédure de régularisation. Interrogée par Le Temps, la BCV s’est refusée à tout commentaire.

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BNP PARIBAS VISÉE PAR UNE PLAINTE

Un autre client, français lui aussi, de la BNP Paribas à Genève n’a pas pu faire virer son argent sur un autre compte dans un pays de l’Union européenne. Il s’est entendu répondre qu’il n’était pas question d’autoriser un retrait en espèces ni un virement à l’étranger avant qu’il n’ait démontré être en règle avec le fisc français.

Convaincu que l’attitude de la banque est contraire au droit, l’avocat du client, Me Marc Béguin, pense que celle-ci cherche à se dégager de toute mise en cause future en s’abritant derrière une décision de justice lui ordonnant de débloquer les fonds. L’avocat a réagi en déclenchant pas moins de quatre procédures, auprès de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma, Eidgenössische Finanzmarktaufsicht), de la justice pénale — pour contrainte —, de la justice civile et de l’ombudsman des banques, instance de médiation entre les établissements bancaires et leurs clients.

La BNP Paribas genevoise n’a pas voulu réagir à ce cas, mais admet avoir « le souci de s’adapter avec proactivité aux évolutions réglementaires ». Dans ce cadre, précise Natacha Sinclair, porte-parole de la banque à Genève, « nous accompagnons nos clients dans leur évolution face aux nouvelles exigences locales et internationales ».

PROCÉDURES SIMILAIRES DANS TOUTES LES BANQUES SUISSES

« Mon client est double national suisse et américain, mais établi en Suisse depuis de nombreuses années, raconte un autre avocat. Il est parfaitement en règle avec ses obligations fiscales américaines, ses comptes bancaires sont déclarés aux Etats-Unis, mais cela n’a pas empêché la Banque cantonale de Genève [BCGE] de lui bloquer ses comptes et d’en interdire toute disposition durant plus de deux mois et demi. »

Même les retraits à un guichet automatique n’étaient plus possibles. Il a fallu que l’homme de loi hausse le ton et menace d’intenter des actions judiciaires pour que la banque lève les blocages.

La BCGE ne s’exprime pas sur ce cas, mais confirme « qu’elle a le droit et l’obligation dans certaines circonstances d’opérer sur préavis un blocage transactionnel », explique son porte-parole, Olivier Schaerrer.

Une telle mesure peut s’imposer « lorsque, après un certain délai, un de ses clients ne lui remettrait pas un document ou une information déterminants sollicités pour la poursuite normale de sa relation d’affaires ». Certains clients, admet Olivier Schaerrer, peuvent avoir de la peine à accepter de tels procédés, mais, assure-t-il, « ce type d’examen est actuellement pratiqué par toutes les banques suisses selon des procédures très similaires ».



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