Les rythmes rompus des personnes agées

jeudi 26 septembre 2013
par  François DART

Les personnes âgées s’adaptent moins bien à leur environnement. Leurs rythmes biologiques sont souvent altérés. Mais ces changements sont-ils l’une des causes ou des conséquences du vieillissement ? On l’ignore. Dans certains cas, on envisage de corriger les effets d’une rupture de rythme, comme la perte du cycle veille-sommeil, qui est extrêmement courante.

La plupart de nos fonctions physiologiques

- la température, la faim et la soif, l’activité et le repos, ou encore la sécrétion de nombreuses hormones, etc

- sont soumises à des variations cycliques, quotidiennes, saisonnières ou environnementale ...

Lorsque nous vieillissons, ces fonctions se modifient.

Ces changements peuvent être dus à l’âge en tant que tel comme les perturbations hormonales chez la femme ménopausée ou à des maladies, plus fréquentes l’âge venant. Ils peuvent aussi résulter de modifications des habitudes alimentaires risquant d’entraîner de nombreux déficits vitamines, fer, calcium, etc ... On considère souvent le vieillissement comme une perte de la structure temporelle, autrement dit des rythmes biologiques. Mais on ignore si cette perte en est la conséquence ou la cause. Les rythmes biologiques sont des phénomènes adaptatifs qui permettent à notre organisme de faire face de s’adapter aux variations de l’environnement, telles que l’alternance lumière-obscurité ou celle des saisons. Or, des variations rythmiques ont été trouvées à tous les niveaux d’organisation cellule, organe, organisme entier.

D’où l’idée que les rythmes et leurs perturbations participent au processus du vieillissement.

Avance de phase.

L’étude des rythmes biologiques chez le vieillard a surtout porté sur la période circadienne du latin circa diem , " presque un jour ". Elle présente des difficultés d’ordre méthodologique et pose de nombreuses questions. Il faut notamment garder à l’esprit les variations individuelles, très importantes dans les populations âgées. Résultant, entre autres, de différences dans le potentiel génétique ou dans la réponse aux facteurs de l’environnement, ces caractéristiques individuelles peuvent entraîner des différences marquées entre l’âge biologique et l’âge chronologique.

Quels paramètres du rythme se modifient avec l’âge ? Et surtout comment interpréter ces modifications ? Sont-elles un indicateur du processus du vieillissement ou de la diminution de la plasticité du sujet âgé ? Enfin, sont-elles une des caractéristiques biologiques générales du phénomène du vieillissement ?

En réalité, on s’aperçoit que les modifications du rythme varient d’une fonction à l’autre, mais aussi qu’un certain nombre d’entre elles ne sont pas perturbées. Le plus fréquent de ces changements touche l’amplitude du rythme, c’est-à-dire l’écart entre la valeur la plus élevée et la plus basse du paramètre biologique étudié. Cette amplitude peut être abaissée. C’est ce qui se passe, entre autres, pour la sécrétion de testostérone et la température corporelle. Toutefois, les personnes âgées maintiennent leur rythmicité circadienne de température, quels que soient le sexe ou la condition mentale en particulier dans la maladie d’Alzheimer avec un pic localisé en milieu ou en fin d’après-midi. Le rythme saisonnier de la température est aussi maintenu, avec un pic en hiver et un creux en juin.

L’amplitude du rythme circadien peut également augmenter.

C’est le cas de certaines hormones, comme les catécholamines. On observe aussi souvent une modification du niveau moyen du rythme, et plus rarement un déplacement de son maximum, encore appelé pic ou acrophase. Ainsi, des personnes âgées en bonne santé physique présentent une tendance à l’avance de phase pour certains stéroïdes, comme le cortisol ou la déhydro-épiandrostérone DHEA-S voir l’entretien avec Etienne-Emile Baulieu dans ce numéro. Curieusement, cette tendance n’est pas vérifiée à toutes les saisons.

Ce phénomène d’avance de phase est voisin de celui observé dans la dépression. De façon intéressante, d’autres travaux montrent aussi des similitudes entre le vieillard en bonne santé apparente et le sujet déprimé.

Mais peut-être n’est-ce qu’une coïncidence, et l’on doit confirmer cette ressemblance pour pouvoir l’interpréter.

Les dépressions sont fréquentes dans la population âgée.

Peut-être est-ce en partie lié à un problème, très courant en gériatrie : la perturbation du cycle qui règle la veille et le sommeil. Ce cycle dépend, entre autres, d’une structure du système nerveux central, la glande pinéale. Organe terminal du système visuel, cette dernière sécrète une hormone, la mélatonine, qui joue un rôle de transducteur du signal lumineux. Messager chimique, la mélatonine informe l’organisme sur la durée du jour et de la nuit. C’est le donneur de temps qui nous permet de vivre en harmonie avec notre environnement.

Mélatonine en baisse.

La grande caractéristique de cette hormone est sa production selon un rythme circadien très marqué, avec un pic de sécrétion pendant la nuit aux environs de 2 heures et des valeurs très basses, voire nulles, le jour. Cette rythmicité est générée par l’une de nos horloges biologiques internes, également située dans le cerveau, et plus précisément dans les noyaux suprachiasmatiques. Outre le fait que la lumière, naturelle ou artificielle, inhibe la production de mélatonine, elle synchronise sa sécrétion en réglant la position du pic de l’hormone dans les 24 heures. En effet, selon l’heure à laquelle les sujets sont éclairés, on peut avancer ce pic de sécrétion ou le retarder : l’éclairement des sujets entre 3 et 9 h du matin avance le rythme, l’éclairement pendant la soirée le retarde. Chez l’homme, la mélatonine stabilise ou renforce les rythmes circadiens. Ainsi, elle accentue la baisse nocturne de la température, ce qui facilite l’endormissement.

La concentration de cette hormone dans le sang diminue avec l’âge.

Dans une étude portant sur 757 sujets âgés de 80 ans non sélectionnés, nous avons montré que 53 % d’entre eux présen-taient des taux abaissés de concentration diurne de mélatonine plasmatique. On pense aujourd’hui, au vu de travaux effectués sur les rongeurs, que cette baisse est due à une diminution du nombre ou du bon fonctionnement de récepteurs spécialisés, présents sur les membranes des cellules de la glande pinéale.

Nous l’avons vu, la sécrétion de mélatonine dépend de la photopériode. Pourtant, chez l’être humain, les taux les plus élevés de mélatonine ne sont pas observés pendant les mois d’hiver, comme on devrait s’y attendre en raison de la photopériode courte à cette époque de l’année. Les variations saisonnières de l’hormone changent aussi avec l’âge : les taux de mélatonine plasmatique sont statistiquement plus bas en janvier chez les jeunes et en octobre chez les sujets âgés voir schéma.

Les personnes âgées sont souvent insomniaques et ne peuvent s’endormir avant une heure très avancée insomnie dite par retard de phase. L’administration de mélatonine par voie orale permet alors de choisir une heure d’endormissement plus compatible avec une vie sociale normale. En effet, la prise de mélatonine entraîne une modification de sa sécrétion par la glande pinéale, différente selon l’heure d’administration. Cette donnée est appelée courbe de réponse de phase : lorsque l’hormone est absorbée l’après-midi ou dans la soirée, elle induit une avance du rythme endogène, alors qu’une administration matinale ou à midi induit un retard du rythme. Notons au passage que l’effet de la mélatonine sur sa propre sécrétion va en sens inverse de celui observé avec la lumière.

Escroquerie.

Dans des situations où la perturbation des rythmes entraîne des troubles - comme dans le travail posté, lors du vieillissement, chez les patients aveugles et les insomniaques -, la mélatonine est donc une voie de recherche prometteuse.

Comme le sont les travaux sur son activité d’agent de synchronisation d’autres rythmes circadiens, ou encore sur ses importantes propriétés antiradicalaires. Rappelons que les radicaux libres* formés lors du métabolisme sont toxiques pour la cellule et que leur nombre s’accroît dans un certain nombre de situations physiologiques vieillissement... ou pathologiques Alzheimer, cancer, pathologies cardio-vasculaires.

Actuellement cependant, toutes ces voies restent encore du domaine exclusif de la recherche. Faire de la mélatonine une pilule merveilleuse, la thérapeutique de tous les maux de cette fin de XXe siècle Alzheimer, cancer ... est une escroquerie. La médiatisation outrancière de cette molécule, en vente libre dans les drugstores américains, aboutit à une automédication suggérée, voire conseillée, du public qui n’est pas souhaitable en termes de santé publique. Actuellement en France, des molécules mimant les effets de la mélatonine, dites molécules agonistes, sont en phase d’évaluation clinique.

Phénomène complexe, le vieillissement ne peut évidemment pas être abordé par l’étude d’une seule cause. On doit prendre en compte un très grand nombre de facteurs : l’activité physique, l’état psychologique et nutritionnel des sujets, la prise de médicaments parfois en nombre important ...

Les rythmes biologiques, leurs modifications ou leurs altérations ne sont que l’un des éléments utiles à la compréhension de l’âge biologique. Par ailleurs, nous avons vu qu’un même stimulus - la prise de mélatonine - est interprété par l’organisme de façon tout à fait différente selon le moment de la journée auquel il est appliqué. Bien d’autres données soulignent ainsi l’importance de la notion de temps biologique. Elle doit être prise en compte en médecine pour, par exemple, optimiser les effets thérapeutiques et diminuer les effets secondaires des médicaments.


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