LIPIDES ET ATHEROSCLEROSE

mercredi 6 mars 2013
par  François DART

Pour tenter d’apporter quelques précisions, suite à certaines publications récentes au sujet des statines. Lé débat est loin d’être clos ! BEAUCOUP DE CERTITUDES ET QUELQUES INTERROGATIONS Si la relation entre hypercholestérolémie et athérosclérose a été définitivement établie dès les années 60 par de nombreuses enquêtes prospectives, plusieurs questions y référant continuent à être débattues. En voici 3 parmi les plus fréquentes :

- La normalisation des chiffres lipidiques fait-elle diminuer le risque d’athérosclérose ?

- Quand faut-il recourir aux médications hypolipémiantes en prévention primaire ?

- Les hypertriglycéridémies sont-elles également athérogènes ?

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A. LA NORMALISATION DES CHIFFRES LIPIDIQUES FAIT-ELLE DIMINUER LE RISQUE D’ATHEROSCLEROSE ?

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Une fois suspecté le rôle du cholestérol dans la genèse de l’athérosclérose, il a très vite paru logique de tenter de réduire l’incidence de celle-ci en diminuant la moyenne de la cholestérolémie de populations à risque.

Cette entreprise a connu 3 étapes :

- la première remonte aux années 50 et a été basée, faute de médications efficaces, sur une modification des habitudes alimentaires. La prévalence de coronaropathies est corrélée à la teneur de l’alimentation en matières grasses. L’hypothèse basée sur une alimentation carencée et modifiée en matières grasses a donné lieu à de sévères empoignades entre ses partisans qui entrevoyaient des effets positifs et ses adversaires qui mettaient ceux-ci fortement en doute. Il faut avouer que les résultats n’étaient pas particulièrement probants et 2 raisons peuvent être avancées :

- a/ l’abaissement des chiffres de cholestérol par la seule diète n’a pas été suffisamment important pour influer sur le cours de l’athérosclérose ;

- b/ les matières grasses conseillées alors étaient les huiles polyinsaturées de la famille oméga 6, dont on a montré plus tard qu’elles abaissaient à la fois le LDL et le HDL cholestérol, ainsi que les margarines de la même famille, dont les acides gras - trans -, produits par le processus d’hydrogénation, ont un effet hypercholestérolémiant.

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Le tir a depuis été corrigé, et la diète antiathéroscléreuse aujourd’hui conseillée réserve une part importante aux huiles monoinsaturées ainsi qu’aux huiles polyinsaturées de la famille oméga 3.

- la seconde débute en 1975 avec la publication des résultats de la première d’une longue série d’études de grande envergure utilisant des médications hypolipémiantes en prévention primaire chez des hommes adultes jeunes. Si la - Coronary Drug Project -, utilisant le clofibrate et la niacine, n’a pas réussi à démontrer une réduction significative de la mortalité coronarienne, par contre, les autres études, utilisant le clofibrate, la - Lipid research Clinics -, utilisant la cholestyramine et celle utilisant le gemfibrozil, ont clairement abouti à une diminution de la mortalité de cause non vasculaire, particulièrement suite à des cancers essentiellement digestifs.

- la troisième coïncide avec la publication en 1994 des résultats d’une large étude de prévention secondaire utilisant la simvastatine. Le cholestérol total et le LDL - cholestérol ont baissé respectivement de 25 et 35% chez les sujets traités par rapport aux contrôles. Les complications coronariennes majeures ont été réduites de 34% et la mortalité par infarctus du myocarde de 42%. Par contre, il n’a pas été observé d’augmentation de la mortalité de cause non coronarienne.

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Dans la foulée, 2 études utilisant la pravastatine, la - WOSCOPS - en prévention primaire, et la - CARE - en prévention secondaire chez des patients à taux de cholesterol supérieur à 240 mg/dl, ont donné des résultats comparables, à la fois par la diminution des manifestations coronarienne et par l’absence d’augmentation de la mortalité de cause non coronarienne.

Ces résultats, qui ont révolutionné le pronostic de la maladie athéromateuse, ont reçu une confirmation anatomique pas des études artériographiques qui ont montré une réduction de la fréquence de progression des lésions coronarienne ainsi qu’une augmentation de la fréquence de leur régression, suite à une thérapeutique hypolipémiante intensive.

Toutefois cette régression, quoique statistiquement significative, est trop minime pour expliquer à elle seule le grand pourcentage de réduction des manifestations cardiaques observées dans les études prospectives.

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De fait, le rôle majeur joué par les médications hypolipémiantes semble être de stabiliser la plaque d’athérome.

En effet, on a constaté que les accidents ischémiques aigus surviennent souvent quand des plaques coronariennes, qui ne rétrécissent que modérément une artère, se rompent.

Les plaques à plus haut risque de rupture sont celles à grande concentration de macrophages et à mince cape fibreuse, particulièrement aptes à se fissurer et à provoquer des thrombi muraux.

Plusieurs études ont constaté le rôle des hypolipémiants, en particulier des statines, dans la stabilisation de ces plaques et la restauration d’une fonction endothéliale normale, cette action étant indépendante de la baisse du cholestérol.

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B. QUAND FAUT-IL RECOURIR AUX MEDICATIONS HYPOLIPEMIANTES EN PREVENTION PRIMAIRE ?

Les organismes internationaux ont établi depuis 1988 des critères de - normalité - des paramètres lipidiques qu’ils ont confirmés dans un sens plus strict en 1993.

Les chiffres souhaitables du cholestérol total et du LDL-cholestérol sont < 200 mg/dl et < 130 mg/dl respectivement et ils sont considérés élevés dès qu’ils dépassent 240 mg/dl et 160 mg/dl respectivement.

La décision thérapeutique en cas d’hypercholestérolémie est basée sur le taux du LDL-cholestérol. Il est à noter que dans le - CARE Study -, la réduction de la cholestérolémie n’a pas eu d’effets bénéfiques quand le taux de départ du LDL-cholestérol était inférieur à 125 mg/dl.

Si le traitement médicamenteux est indiscutable en cas de prévention secondaire au vu des résultats spectaculaires constatés dans les études prospectives, au point qu’on peut estimer qu’il serait non éthique de ne pas normaliser les chiffres lipidiques chez un patient ayant présenté un incident vasculaire, le recours à des hypolipémiants pour une prévention primaire n’est pas unanimement admis.

En effet, même si les études prospectives ont été aussi encourageantes en ce qui concerne la prévention primaire que la prévention secondaire, l’utilisation pendant de nombreuses années de produits chimiques suscite chez certains des réserves qui sont essentiellement de 2 ordres : la crainte d’éventuels effets secondaires et le coût financier.

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*Le risque des hypolipémiants utilisés au long cours a, depuis longtemps, été mis en exergue à la suite des résultats de plusieurs études montrant que la mortalité de cause non cardiaque a été supérieure dans le groupe des sujets traités pas rapport à celui des contrôles.

Pour mémoire, quelques effets secondaires des principales drogues ( myalgies et élévation des enzymes hépatiques dues aux statines ; constipation et malabsorption des vitamines liposolubles dues à la cholestyramine ; troubles digestifs et élévation des enzymes hépatiques dus aux fibrates ; - flushes - cutanés et exacerbation du diabète dus à l’acide nicotinique) pour insister sur 3 complications qui ont fait couler beaucoup d’encre : l’augmentation de la mortalité par comportement violent (suicide, traumatismes) a été associé à une réduction importante de la cholestérolémie, essentiellement par les statines, mais cette corrélation est aujourd’hui jugée infondée ; le risque de cancer, enfin, qui pourrait être provoqué par la réduction de la cholestérolémie.

C’est essentiellement ce problème qui relance régulièrement le débat sur l’opportunité d’une prévention primaire par des médicaments.

Quels sont les arguments invoqués ?

Il est admis que les patients ayant une cholestérolémie très basse (<160 mg/dl) ont une augmentation du risque de cancer.

En fait les études prospectives ont démontré que la cholestérolémie s’abaissait dans les 2 années précédant le diagnostic d’un cancer, laissant spéculer que c’est le cancer qui est responsable de la baisse de la cholestérolémie plutôt que le contraire.

Cela étant, il est exceptionnel qu’un traitement chez des patients hyperlipémiques puisse abaisser à ce point la cholestérolémie.

Par ailleurs, certaines études utilisant des hypolipémiants ont montré une incidence plus élevée de cancer : digestif, dans la - Committee of Principal Investigators -, utilisant le clofibrate ; du sein, dans la - CARE -, utilisant la pravastatine.

Toutefois, une méta-analyse des différentes études, le suivi sur plusieurs années des patients inclus dans ces études ainsi qu’une étude en cours utilisant une drogue incriminée n’ont pas retrouvé de corrélation statistiquement significative entre la prise d’un hypolipémiant et la genèse d’un cancer et ont attribué les constatations contraires au hasard ou à un nombre réduit des cas observés.

Bien plus, une augmentation du risque de cancer a été constatée par certaines études n’utilisant pas d’hypolipémiants, mais une simple diète riche en acides gras polyinsaturés oméga 6.

Enfin, dans les études chez le rat montrant un risque accru de cancer par les statines et les fibrates, des doses massives ont été utilisées chez un animal connu pour sa susceptibilité à la carcinogenèse.

Actuellement, la majorité des auteurs estime que le risque de provoquer un cancer ne devrait pas être retenu dans la prévention primaire des patients à risque coronarien.

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*Le coût financier d’un traitement hypolipémiant en prévention secondaire est rapidement rentabilisé par les économies réalisées grâce à la réduction des journées d’hospitalisation et des techniques de revascularisation.

On estime ainsi que le coût journalier effectif d’un comprimé de simvastatine est réduit de 88%.

Il n’en va pas de même en prévention primaire, surtout si le traitement doit être administré dès l’adolescence.

Cette question est largement débattue, et l’un des objectifs actuels en santé publique est de déterminer l’âge à partir duquel il serait approprié de débuter un traitement chez un patient dyslipidémique asymptomatique.

C. LES HYPERTRIGLYCERIDEMIES SONT-ELLES EGALEMENT ATHEROGENES

Le rôle des triglycérides et des lipoprotéines (VLDL, b VLDL, IDL) qui les transportent dans le plasma dans la genèse d’une athérosclérose, bien que rapidement suspecté, a été longtemps mis en doute, voir nié.

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En effet, les enquêtes épidémiologiques ont été essentiellement focalisées sur les LDL dont l’élévation a été rapidement et de façon indiscutable corrélée avec un risque athéroscléreux accru.

De plus, les premières recommandations de la société internationale d’athérosclérose ont été essentiellement centrées sur le seul dépistage de la cholestérolémie.

Toutefois, des doutes ont commencé à apparaître avec les statistiques en provenance de Framingham montrant que la majorité des patients ayant présenté un infarctus du myocarde ont une cholestérolémie relativement peu élevée (autour de 225 mg/dl) et que 31% des infarctus du myocarde surviennent chez des patients dont la cholestérolémie est inférieure à 200 mg/dl, chiffre pourtant considéré comme idéal.

Il a été rapidement constaté que ces patients ont une formule lipidique caractéristique appelée - triade - qui regroupe une hypertriglycéridémie, un taux bas du HDL, et un LDL normal ou élevé, mais surtout d’un phénotype particulier, petit et dense, le rendant encore plus athérogène que le LDL de phénotype normal.

Ces constatations de la - Framingham Study - ont été corroborées par d’autres enquêtes prospectives, en particulier la - PROCAM Study - de Münster en Allemagne, qui a montré que les personnes les plus sensibles au risque athérogène sont celles qui présentent le profil de la triade.

Des études prospectives utilisant des fibrates sont en cours et visent à démontrer que la normalisation de ce profil s’accompagne d’une régression des incidents coronariens.

Les dyslipidémies sont donc à distinguer, quant à leur pathogénie, en deux grands groupes : le premier implique une anomalie au niveau du récepteur des LDL, et se manifeste par un taux élevé de la cholestérolémie, aux dépens du LDL cholestérol, avec des triglycérides et un HDL cholestérol normaux ; le second regroupe un grand nombre d’entités cliniques ayant en commun une altération de l’activité d’une enzyme-clé du métabolisme lipidique, la lipoprotéine lipase, et se manifeste par la triade, dont les valeurs lipidiques, jamais trés élevées, sont faussement rassurantes. Ce second groupe est, souvent, dans de nombreuses régions, plus fréquent que le premier.

Les triglycérides, ces - graisses oubliées -, ne sont sans doute pas athérogènes par eux mêmes ; mais, quand ils sont élevés, c’est habituellement dans le cadre d’un ensemble d’élément athérogènes : l’élévation des lipoprotéines de très faible densité, qui sont captées par les macrophages dans les espaces sous-endothéliaux au même titre que les LDL ; l’association fréquente à un syndrome polymétabolique, dit syndrome X, dont chacune des autres composantes ( une intolérance aux hydrates de carbone, une hypertension artérielle, une hyperuricémie et une obésité androïde et viscérale) représente en soi une cause d’athérosclérose.

L’hypercoagulabilité observée dans ce syndrome explique, en outre, la fréquence avec laquelle les personnes porteuses de la triade présentent des accidents coronariens aigus.


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